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Arrivederci,  mon soldat 

24 juillet 1940

            Mama,

           L’aridité de l’Afrique est telle que le sol n’est que poussière et désolation. L’épuisement est une deuxième peau sous mon habit militaire; elle contraint ma croix, celle que tu as fait bénir à notre église, pour mon septième anniversaire, à rester près de mon cuore. Comme je regrette l’ombrage qu’offraient nos oliviers! T’en souviens-tu? Tu venais m’y retrouver et, protégés de la chaleur, on chantait au-delà du coucher de soleil. Notre division devrait changer de nom pour une « branche » militaire — même après cette « fameuse » formation, nombreux sont les compagnons étant tombés, comme les feuilles de nos arbres.
 

            Mes chances de survie sont tout aussi minces que le papier sur lequel je t’écris.

            Tant que cette lettre se retrouve dans tes mains, je me contente de ma situation.

            Ton Fabrizio. 

***

 

13 décembre 1940

              À mon grand garçon,

            Cette chaleur que tu ressens chaque jour réchaufferait les cœurs les plus aigris en cette saison hivernale. Les oliviers ressentent ce même besoin; rabougris sur eux-mêmes, ils attendent — je suis persuadée qu’ils espèrent ton arrivée au pays tout comme celui de la belle saison. Ton retour me préoccupe. Je chante « Bella ciao », en balayant le plancher de la maison; cette guerre ne durera pas et je suis si heureuse de te savoir en vie!

            Je me suis trouvé un emploi. Les temps sont durs, plus durs que les pains offerts en ration. N’oublie pas, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir!


           Prends soin de toi,

            Celle qui t’aime plus que tout,

            Ta mère.

***

2 avril 1941

            Mama,

            J’ai un nouveau grade : celui d’assassin. J’ai tué. L’arme qui sert d’extension à mon bras a tiré un nombre incroyable d’Américains. Pourquoi? Un échange équitable, une vie contre une vie. Sauver ma peau, voir des alliés s’écrouler.

            En fait, j’ai peur. Elle fait partie de mon être. Elle bouffe mes tripes. Elle me paralyse. On ne peut nous distinguer. J’absorbe ce qui m’entoure : les cris d’attaque, de surprise et de peur, le résonnement des coups de feu, le tremblement provoqué par les Fiat M14/41, les bombardements, ce chaos sanglant, la dispersion... Et puis, plus rien. Silence total. C’est épouvantable. On réalise qu’il s’agit de la réalité. Elle est cauchemardesque. Un mauvais rêve duquel on ne peut pas se sauver.

         Je repars dans cet enfer dans l’espoir de regagner un bout de paradis pour toi, sur cette terre. Cette chanson m’accompagne aussi, Mama :

Et si je meurs en partisan

O bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao!

Et si je meurs en partisan,

Il faudra que tu m’enterres.

            Avec amour,

            Fabrizio

***

 15 février 1942

            Au soldat Fabrizio,

            Les bombes. Je les perçois dans mes rêves. Elles sont des échos de la ville. J’ai appris à les écouter, tel le tic tac de notre horloge. Cette incessante torture cessera — une resistanza s’est formée! Le but : détrôner Mussolini de notre pays. Je souhaite y participer, puisqu’en restant à la maison, impossible de t’aider.

            À mon adoré Fabrizio,

            Mama.

P.-S. — Je ne t’ai pas appris à être si pessimiste, mio foglio! N’oublie surtout pas : les Italiens, dans notre chanson, trouvent une fin heureuse malgré ces batailles.

Mais un jour viendra que, tout autant que nous sommes,

O bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao!

Mais un jour viendra que, tout autant que nous sommes,

Nous travaillerons en liberté.

           

***

27 juillet 1943

            Mama,

            En seulement trois ans, nos forces, nos espoirs, nos rêves se sont amenuisés. Les miens, plus précisément. Ils ne sont pas complètement disparus. Tes lettres, de simples bouts de papier, me rendent confiant en mon destin.

            Prie pour mon âme. Tu ne souhaiterais pas me revoir à l’intérieur d’un cercueil.

            Fabrizio.

            P.-S. — Je reviendrai, je le sens.

            Je t’aime.

***

10 septembre 1944

            Fabrizio, 

            Je prie constamment pour ton arrivée; j’observe la plaine que tu as foulée un beau matin de juin pour n’y apercevoir que les Allemands souillant notre terre de leur présence. L’armistice est signé, présage de ton futur retour! Je te retrouverai, me parlant de tout ce que tu as vécu, dans la cuisine, dévorant ma spécialité : des zalettis.

            Mon fils! Mon Fabrizio tant adoré!

            J’embrasse cette lettre dans l’espoir que je puisse baigner ton visage de baisers et te serrer en une forte accolade pour compenser ces années d’absences.

            Je t’en supplie! Reviens vite vers moi!

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