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Nouvelle

« J'ai gardé un sourire en souvenir de toi... »

Malgré la joie présente dans la voix de Pierre Lapointe, la douleur qu'il ressentait en prononçant cette phrase se transmettait à son auditoire, plus contagieuse que la fièvre de la danse. 

Installé à l'avant de la scène, plusieurs verres de téquila dans le gosier, je repense à ton joli minois illuminé par un continuel sourire. Les paroles de la chanson m'entraînent et me font toujours dériver vers toi. 

Tu ne m'as pas vraiment laissé le choix, Viola. À peine installée dans ma vie, tu t'es envolée comme la fumée de ton inconditionnel cigare. Aucune dispute. Aucun indice présageant un éventuel départ. Tu as tout simplement disparue. Aucune lettre, aucune parole accusatrice. Le peu de possessions que tu avais transportées chez moi a quitté l'armoire. 

Lorsque j'y repense, je me demande comment ton parfum floral faisait pour camoufler la senteur nauséabonde de la nicotine qui imprégnait ta peau. Tu es une contradiction sur deux jambes mues par le rythme irrégulier de la vie.

 

Aucun moyen de te retrouver je sais plus de choses de ton passé et toi du mien. la seule chose à savoir sur toi et que tu étais né pour danser me disait toujours. 

 

Dans un couple, selon les dires, la clé d'une union stable et la communication. Je ne peux qu'approuver lorsqu'il s'agit des autres. Notre cas était plus inhabituel : nous échangions rarement des mots. Le silence était d'or ou d'argent, tes couleurs préférées. L'argent te rappelait les éclats qu'une boule de discothèque projette… La complicité s’était installée entre nous grâce à nos regards brillants et à des sourires espiègles. Tu savais plus particulièrement comment transmettre la moindre de tes pensées à travers les mouvements d’une danse. Tes ondulations décrivaient à merveille l’émotion qui te possédait. Tu me fascinais et tu me fascineras toujours. 

À notre première rencontre, tu m'as dévoilé le feu de ta passion. Les gens te regardaient les yeux pleins d'admiration alors qu'habituellement leur regard trahissait un intérêt blasé. Certains hommes ont tentés de t'approcher, tu les as tout simplement envoyés valser. Tu conquérais la piste de danse, juchée sur des talons hauts dignes d'une reine. Ils croyaient pouvoir te détrôner, ma belle! Devant ton sérieux, il était pourtant clair qu'on ne pouvait t'amadouer qu'en étant ton égal. 

Je m'en rappelle, l'alcool agissant comme un stimulant sur mes souvenirs.

J'ai tenté de t'aborder. Je me suis approché et tu m'as jugé du regard; c'est là que tout a cliqué. Tu m'as pris par la main et nous avons commencé à nous déplacer graduellement sur la piste de danse, un pas de chat à la fois.

Je n'avais jamais tenté de danser auparavant. À ton contact, ta passion pour cet art a irrigué mes veines et amené mon corps à suivre à la perfection le moindre de tes déplacements.

Voilà, fin de ton règne solitaire.

Une amourette? Non. Notre désir était de faire un bout de chemin ensemble, de mener le ballet de la vie à notre façon. Un, deux et trois mois ont passé. Aujourd'hui, Viola, tu as déguerpi comme Cendrillon; tu t'es enfuie du bal au coup de minuit. Je n'ai trouvé aucune pantoufle de verre et je ne possède pas la ténacité du prince charmant pour te retrouver.

 

Je ne suis qu'un lâche qui se réfugie dans l'alcool et la tristesse.

Lorsque je repense à toi, la nostalgie s'insinue en moi et pose doucement son baume réconfortant sur mes plaies fraîches et fragiles. C'était doux et amer à la fois, tout comme ces biscuits anglais qu'on dégustait en prenant une tasse de Earl Grey. À chaque fois, des miettes restaient collées aux commissures de tes douces lèvres peintes en rouge. Et c'était avec plaisir que je t'en débarrassais d'un baiser. Alors, tu t'esclaffais et souriais de plus belle pour le restant de la journée et pendant notre danse quotidienne.

 

Je t'aime encore, et ce, sans arrêt. Le fil continuel de mes pensées est sans cesse entrecoupé des moments passés, tango insistant sur mon pauvre esprit.

Pour l'instant, mon esprit est paralysé. Moyen de défense contre la douleur de ta perte. Le temps réparateur comblera certainement cette blessure. Tu es maintenant un amour à l'imparfait. Un des temps de verbe les plus détestés lorsqu'il est question de relation. Temps de verbe qu'on ne cesse de ressasser alors que le présent a pris possession du moment.

 

Je n'avais qu'à savoir, alors tant pis pour moi! 

Nouvelle gorgée de Whisky avant de repartir dans mes pensées.

 

Je n'ai rien vu venir. Je sais que ton souvenir persistera toujours. Or, au fil des années, ton image ne me laissera pas sans voix et me fera plutôt éclater de rire. 

Chère et tendre Viola.

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